Sœur Josée Ngalula: relire la synodalité à la lumière de l’Ubuntu

Membre de la commission théologique internationale, Sœur Ngalula invite l’Eglise africaine à relire les structures ecclésiales à la lumière des traditions africaines, notamment celle de l’Ubuntu. Ce concept, enraciné dans une anthropologie communautaire, fait écho aux intuitions fondamentales de la synodalité: écoute, coresponsabilité, marche commune. La religieuse congolaise s’est exprimée lors d’une rencontre des femmes théologiennes africaines, venues penser ensemble l’avenir de l’Église.

(Par Camille Mukos, SJ – Nairobi)

La Sœur Ngalula a d’entrée de jeu insisté sur le caractère unique de l’expérience vécue lors de cette rencontre: «Ce que nous vivons ici est une expérience authentique de synodalité. Des femmes africaines se mettent à l’écoute les unes des autres», a dit la religieuse.  Cette posture d’écoute mutuelle, à mille lieues des discours déconnectés du terrain, illustre une autre manière de faire Église: «depuis les marges, avec des voix longtemps mises à l’écart», a-t-elle indiqué. En ce sens, Hekima University College n’a pas seulement accueilli un colloque, mais s’est révélé être un véritable laboratoire ecclésial, où l’Église se redécouvre en apprenant à écouter celles qu’elle avait trop souvent négligées.

Ubuntu et synodalité, une convergence des horizons

En abordant la question de la synodalité en contexte africain, la Sœur José Ngalula rejette toute idée d’importation ou d’adaptation forcée. Pour elle, la synodalité n’est pas une innovation étrangère à l’Afrique, mais au contraire une dynamique profondément enracinée dans ses traditions culturelles et spirituelles. «L’Afrique regorge de richesses culturelles qui entrent naturellement en résonance avec la synodalité», affirme-t-elle. Ce constat ouvre la voie à une relecture africaine du processus synodal, non comme imitation de modèles occidentaux, mais comme émergence de formes ecclésiales puisées dans les ressources propres des peuples africains.

Selon la religieuse, le concept d’Ubuntu, central dans la philosophie africaine, illustre avec force cette affinité. Littéralement, Ubuntu se décline dans l’affirmation suivante: «Je suis parce que nous sommes». Cette formule résume une anthropologie relationnelle où la personne humaine n’est jamais conçue comme un individu isolé, mais comme un être intrinsèquement lié aux autres. Avec l’Ubuntu, l’existence, la dignité, la parole, la responsabilité s’inscrivent tous dans un tissu de liens communautaires. Cette vision est, de manière remarquable, proche des fondements mêmes de la synodalité promue par le pape François, qui repose sur la coresponsabilité, l’écoute mutuelle, le discernement partagé et la marche commune du peuple de Dieu.

Puiser dans le patrimoine africain

Sœur Ngalula va plus loin. Elle redonne à l’Afrique la légitimité de puiser dans son patrimoine pour renouveler la vie ecclésiale. Elle insiste sur le fait que la gouvernance africaine était historiquement communautaire, inclusive et dialogale. Ce modèle traditionnel de gestion collective, incarné dans les conseils de sages, les palabres, les débats de village ou les consensus communautaires, constitue un terreau favorable à une synodalité authentique. À cet égard, la synodalité ne serait pas une rupture, mais une récupération salvatrice de traditions culturelles oubliées, voire méprisées. Elle devient un acte de mémoire et de restauration.

Il s’agit, pour reprendre les mots de la théologienne, de «restaurer une Église qui parle avec la voix de son peuple, et non depuis les sommets d’une hiérarchie déconnectée». C’est dire en d’autres termes que Ubuntu et synodalité convergent pour esquisser une Église profondément africaine et radicalement évangélique. Une Église où le bien commun l’emporte sur les intérêts particuliers, où la communion n’est pas uniforme mais tissée dans la diversité, et où l’écoute devient la première forme de charité. C’est cette Église-là que la Sœur Ngalula appelle de ses vœux. Une Église enracinée dans la terre africaine, et pourtant universelle par vocation.

 

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