Les banques commerciales en RDC font la loi et abusent de leurs clients

Dans une interview à Radio Okapi d’il y a un mois et demi, le professeur Noël Tshiani décrie les taux exorbitants prélevés par les banques étrangères installées en RD Congo dans les transactions avec leurs clients et dénonce la passivité de la Banque centrale.

Les banques étrangères opérant en RDC abusent de leurs clients avec des frais exorbitants de commission qu’elles prélèvent sur leurs comptes comme nulle part ailleurs à travers le monde. C’est Noël Tshiani Muadiamvita qui s’insurge contre cette situation dans une interview accordée à Radio Okapi, la radio de l’ONU en République démocratique du Congo. Economiste lui-même et aussi politique, le promoteur de la loi « de père et de mère » (le projet a fait couler beaucoup d’encre et de salive et a été gelé sous la dernière législature) affirme, chiffres à l’appui, que ce qui se passe avec les banques commerciales en RDC n’est vécu dans aucun autre pays, y compris en Afrique. Gâche d’Afrique revient sur cette interview avec, ci-dessous, l’intégralité du transcrit du texte. 

Radio Okapi : Professeur Noël Tshiani Muadiamvita, bonjour

Noël Tshiani : Bonjour

Question : Vous poussez vraiment un gros coup de gueule contre les frais bancaires en RDC qui sont exorbitants, selon vous. Est-ce que vous avez des exemples concrets ?

Noël Tshiani : Tout à fait. Les banques étrangères en République démocratique du Congo abusent de leurs clients congolais sans pitié. Les charges, les frais et les commissions que ces banques prennent sur les comptes de leurs clients sont exorbitants et n’existent nulle part au monde sauf en République démocratique du Congo. Par exemple, un client fait un dépôt d’argent dans son compte d’épargne dans une banque à Kinshasa. S’il veut transférer cet argent à son compte dans une autre banque dans la même ville, donc à Kinshasa, ce transfert lui coûtera 1% du montant transféré. Si par exemple le transfert est pour 1 million de dollars américains, les frais de transfert reviennent à 10 mille dollars, donc 1% du montant de 1 million, alors que le même transfert coûterait moins de 20  dollars dans un autre pays. Et si le client veut simplement retirer au guichet de la banque 3 600 dollars cash de son compte épargne, ce retrait lui coûterait 50 dollars. Ailleurs, en dehors de la République démocratique du Congo, ce retrait est gratuit.

Question : Lorsque vous dites ailleurs, vous faites allusion à quels pays ?

Noël Tshiani : Je fais allusion à tous les pays du monde. Vous savez que je suis quand même quelqu’un qui avait beaucoup l’occasion de voyager. J’ai voyagé dans près 125 pays différents à travers le monde. Aux Etats-Unis d’Amérique, au Canada, au Sénégal, en  Côte d’Ivoire, au Burkina, vous allez en Angola, vous allez dans les pays asiatiques, partout, en Europe. Donc, c’est comme ça que les choses se font. Mais les banques au Congo se comportent comme si elles étaient sur leur propre planète et que la République démocratique du Congo et les Congolais devraient être traités différemment.

Question : Justement, vous ne pensez pas que c’est un peu lié à l’environnement des affaires ici en RDC. Nous avons un climat des affaires dont beaucoup se plaignent : sur taxation, chevauchement des services étatiques, tracasseries diverses ?

Noël Tshiani : Vous savez, quand j’ai regardé un relevé qui m’a été remis par une banque où je n’ai fait que retirer  3 600 dollars cash, et qu’il y avait les frais qui arrivaient à 50 dollars, j’ai demandé au banquier de m’expliquer pourquoi il y avait  donc ces charges-là ? On m’a dit que dans les 50 dollars, les taxes reviennent à 6 dollars. Et le reste de dollars, ils subdivisaient cela en deux catégories : les commissions et les frais qui reviennent donc à la banque. Donc, il ne faut pas simplement blâmer l’environnement des affaires. On peut se plaindre de l’environnement des affaires, mais je crois que le grand problème que nous avons ici, c’est que les banques commerciales ne cherchent pas à prendre le risque. Le risque on le prend lorsqu’on fait du crédit aux clients. Mais si les banques ne font pas du crédit, regardez les bilans des banques ici. Le crédit bancaire représente moins de 20% de leurs bilans. Dans d’autres pays, le crédit bancaire représente 65 à 80% total du bilan. Ça veut dire qu’ici les banques ne se nourrissent pas du crédit bancaire. Elles veulent se nourrir des opérations qui ne leur permettent pas de prendre du risque sur la clientèle. Et ces opérations-là sont d’un volume très limité et s’appliquent d’ailleurs sur une clientèle bancaire qui est très réduite. Et par conséquent, ce peu d’opérations est surfacturé.

Question : Professeur Noël Tshiani, vous vous interrogez alors sur le rôle de la régulation. Vous dites, que fait l’autorité monétaire dans tout ça ? Pourquoi ?

Noël Tshiani : Oui, je me pose cette question-là, parce que, en réalité dans un environnement comme le nôtre, il faut qu’il y ait un gendarme. Le gendarme qui puisse regarder ce que font les banques commerciales et qui établisse les normes, c’est-à-dire, des règles que tout le monde doit pouvoir respecter et  des standards que chacun doit pouvoir respecter. Mais lorsque le gendarme est trop silencieux ou ne communique pas du tout et on ne sent pas sa présence, les banques se comportent comme dans la jungle. Donc, on facture comme on veut, et la Banque centrale, il n’y a même pas un mécanisme pour qu’un client puisse se plaindre chez quelqu’un. Dans un autre pays, la Banque centrale aurait mis un numéro de téléphone pour permettre à ceux qui ont des plaintes de pouvoir s’adresser à ce numéro-là. Dans un autre pays, on appelle ça l’agence de protection des consommateurs. La Banque centrale qui ne fait pas son travail, qui est trop absente, qui est trop silencieuse.

Question : Est-ce qu’on peut dire aujourd’hui que la RDC a un levier pour faire fléchir les banques étrangères établies sur le territoire national ? Est-ce que c’est possible, tenant compte de toutes les faiblesses que vous avez relevées ?

Noël  Tshiani : Bien évidemment, la RDC en tant que pays souverain, a le pouvoir d’autoriser les banques étrangères à fonctionner sur son territoire. Et si une banque étrangère ne se comporte pas comme il se doit, la RDC dispose du levier de la sanctionner conformément à la loi et conformément aux régulations en vigueur.

Radio Okapi : Professeur Noël Tshiani Muadiamvita, je vous remercie.

Noël Tshiani : C’est à moi de vous remercier.

Transcrit par Gaf

 

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