En août 1945, l’humanité franchissait le seuil de l’ère nucléaire. Les bombes d’Hiroshima et de Nagasaki contenaient, au cœur de leur charge, un minerai arraché au sol congolais : l’uranium de Chinkolobwe, au Haut-Katanga. Sa teneur exceptionnelle – la plus riche jamais exploitée – permit aux États-Unis de forger, à temps, l’arme qui allait bouleverser l’ordre mondial.
(Par SENGILA MBUKU Papy, Président national du Mouvement Populaire Panafricaniste (MPP))
Ce jour-là, le destin de la planète se jouait à plus de 10 000 kilomètres des champs de bataille, dans les entrailles de notre terre. Mais le Congo était alors une colonie. Nous ne décidions de rien. Nos mines, nos terres, nos bras étaient aux mains d’intérêts étrangers. Ce n’était pas nouveau : depuis l’État indépendant du Congo de Léopold II, notre histoire portait déjà les marques du sang versé sur les lianes, des mains coupées pour le caoutchouc, des villages brûlés et des vies brisées au nom de l’avidité. De la chicotte aux quotas imposés, du sang sur les récoltes au silence forcé, le système colonial avait perfectionné l’art de nous dépouiller de nos richesses et de notre dignité. Chinkolobwe n’a été qu’un chapitre supplémentaire dans cette longue chaîne de dépossession.
Aujourd’hui, tout est différent : nous avons notre destin en main. Si nous laissons d’autres décider à notre place, ce ne sera plus la faute d’un système colonial, mais le résultat de notre propre renoncement. Nous n’avons plus l’excuse de l’ignorance ou de la soumission imposée par les baïonnettes. L’histoire nous a appris le prix de notre passivité. Cette fois, l’inaction serait une trahison de nous-mêmes.
Et pourtant, chaque année, les 6 et 9 août, le monde se souvient d’Hiroshima et de Nagasaki. Les drapeaux se baissent, les cloches sonnent, les documentaires affluent, les discours officiels se multiplient. Mais pas un mot sur la RDC. Pas un mot sur Chinkolobwe. Pas un mot sur l’origine de cet uranium qui permit la mise au point des armes les plus redoutables de l’histoire. Ce silence n’est pas anodin. Il traduit une amnésie mondiale qui efface notre contribution… et notre dépossession.
La souveraineté minière n’est pas un slogan. Elle est une réalité concrète, vitale, qui engage trois dimensions essentielles :
•La sécurité : un minerai stratégique mal contrôlé peut décider d’une guerre ou d’une paix. En 1945, ce fut l’uranium. Aujourd’hui, ce sont le cobalt, le lithium, le coltan, le cuivre, le nickel, le manganèse et les terres rares qui déterminent la puissance militaire, la supériorité aéronautique et spatiale, l’armement, l’intelligence artificielle, les télécommunications, le nucléaire civil et les technologies vertes.
•La diplomatie : celui qui maîtrise ces ressources détient un levier sur les alliances, les marchés et les choix géostratégiques des grandes puissances. Voilà pourquoi la ruée sur les titres miniers s’accélère. Chaque carré octroyé aujourd’hui doit être conçu non comme une perte, mais comme un engagement stratégique qui doit générer, en retour, des bénéfices industriels, technologiques et économiques durables pour la nation.
•La mémoire : un peuple qui oublie Chinkolobwe oublie qu’il a déjà influencé le destin du monde. Omettre cet épisode de notre récit, c’est ouvrir la porte à une nouvelle dépossession.
De cette triple exigence découle une doctrine simple : aucune ressource stratégique ne doit quitter notre sol sans contrepartie industrielle, technologique et stratégique réelle. La RDC doit être partenaire, plus jamais simple fournisseur. Cette vision doit être gravée dans nos lois, nos contrats, nos politiques publiques. Et transmise aux générations futures, non comme une nostalgie, mais comme un manuel de vigilance et de fierté nationale.
Le monde d’aujourd’hui ressemble étrangement à celui des années 1940 : une compétition féroce pour la maîtrise des matières premières rares et décisives. La différence, c’est qu’à l’époque, nous étions au centre du jeu sans le savoir, incapables d’en tirer profit. Aujourd’hui, nous savons. Nous avons l’avantage de l’histoire. Nous connaissons le prix de la naïveté, nous mesurons le coût du silence, et nous sommes conscients de la valeur stratégique de nos richesses.
Cet avantage, nous devons le transformer en force : par la lucidité, par des négociations équilibrées, et par l’unité nationale dans la défense de notre souveraineté minière.
Chinkolobwe n’est pas un souvenir figé. C’est un miroir qui nous renvoie notre image d’hier pour nous avertir aujourd’hui. C’est un guide pour ne plus jamais subir. Le monde ne nous reconnaîtra que si nous nous imposons nous-mêmes. L’histoire nous offre une deuxième chance. Cette fois, à nous de ne pas la gaspiller.