Pendant que l’opinion attend l’ouverture judiciaire effective des dossiers à l’encontre de certaines personnalités publiques sur ordre de la Cour de cassation, à son tour, la Cour des comptes hausse le ton. Le procureur général près cette juridiction, M. Salomon Tudieshe vient de lancer une sévère mise en garde aux membres du gouvernement, aussi bien ceux qui assurent les affaires courantes actuellement que ceux qui seront appelés à faire partie du prochain exécutif de la mandature en cours.
« Vous savez que nous aurons un nouveau gouvernement. Mais par le passé, qu’est-ce que nous avons observé? Les membres du gouvernement sortant emportent les biens publics qui leur avaient été confiés pour l’exercice de leurs fonctions. Nous aimerions rappeler que ceux qui seraient candidats à cette pratique, il faut qu’ils y renoncent parce que, ils ne le feront plus sans être poursuivis, ils ne pourront plus bénéficier de l’impunité qui a été la leur jusqu’à ce jour », a prévenu le procureur général Salomon Tudieshe, jeudi 15 mai 2024 au cours d’une conférence de presse organisée au siège de la Cour des comptes à Kinshasa.
« Il faut que les membres du gouvernement sortant sachent que l’immunité qu’ils ont tant qu’ils occupent les fonctions ministérielles et qui les soustrait à la juridiction de la Cour des comptes, cette immunité n’est pas éternelle. Elle tombe avec la cessation de leurs fonctions. « Donc, les faits qu’ils auraient commis pendant leurs mandats publics en tant que ministres, ces faits sont déjà cristallisés et peuvent donner lieu à des poursuites », a-t-il lâché.
La menace du procureur général près la Cour des comptes s’adresse également aux futurs membres du gouvernement Suminwa.
Salomon Tudieshe explique: « Lorsque les nouveaux ministres prennent possession de leurs cabinets, il y a une autre pratique: c’est de refaire ou de réhabiliter, il y a des vocables qu’on utilise à cette occasion, il faut refaire le cabinet, même si ce cabinet a été refait il y a moins de six mois. Le nouveau ministre va vouloir le refaire. En fait, ce qu’il y a derrière cette pratique, c’est que, on concocte des marchés publics plus ou moins corrects, qu’on surfacture pour des raisons que je n’ai pas besoin de vous exposer. »
Dépassement jusqu’à 700% du budget prévu
Autre point de l’adresse du procureur général près la Cour des comptes à la presse, c’était le bilan réalisé par sa juridiction. Selon M. Salomon Tudieshe, son parquet a initié, pour la première fois dans l’histoire de cette institution en RDC, des poursuites à charge des mandataires de l’Etat. Au total, 23 dossiers dont 3 ont déjà donné lieu à des audiences publiques le 7 mai dernier.
Dans le même bilan, le procureur général a fait mention d’un processus de recouvrement des sommes dues au trésor public dans lequel s’est engagée la Cour des comptes. Le premier dossier de recouvrement porte sur 44 projets exécutés sur fonds du gouvernement pendant la période allant de 2016 à octobre 2018. Selon le haut magistrat, la plupart de ces projets n’ont jamais connu un début d’exécution alors que les dépenses étaient engagées dont certaines dépassaient même les prévisions budgétaires. Un de ces projets aurait même dépassé, à l’en croire, les prévisions à hauteur de 7000% du montant prévu.
Un abattoir à la CENI
La Cour des comptes compte également recouvrer des impôts éludés, c’est-à-dire, non payés sur base des exonérations illégales accordées par le ministre des Finances. Un général de la Police nationale congolaise et une figure politique, bénéficiaires de ces exonérations, seraient concernés par ce dossier, a expliqué le procureur général près la Cour des comptes, sans les citer ni donner la hauteur financière des fonds à recouvrer.
Dans le même lot, la Cour des comptes a identifié depuis 2020, selon le magistrat du parquet, un projet de construction d’un abattoir dans l’enceinte de la CENI à Kinshasa. Pourquoi un abattoir à la CENI? Son institution tient à comprendre les tenants et les aboutissants de ce projet.
Autre révélation portée à la connaissance des médias: dans le cadre de la riposte contre le Covid-19 menée par le gouvernement, un hôpital de la place dont le procureur général n’a pas non plus cité le nom, a reçu des fonds publics pour lesquels les services attendus n’ont pas été prestés.
Cas de la SONAHYDROC
Enfin, la Cour des comptes a aussi sur sa table le dossier d’un agent « indélicat » de l’entreprise étatique, SONAHYDROC, remercié par son employeur. Selon le procureur général, cet agent percevait un salaire mensuel de 1 million 200 mille francs congolais. Mais, par quelle magie, s’interroge-t-il, l’entreprise est condamnée à payer à cet agent 1 million 200 millions de dollars?
Un dossier que la Cour des comptes tient également à élucider, a dit le procureur général qui a néanmoins dénoncé le manque de collaboration du Comité de gestion de cette société de l’Etat dans cette affaire.
Et pour clore, le procureur général Salomon Tudieshe a salué l’appropriation par les citoyens congolais de la lutte contre les détournements et la corruption. Il en veut pour preuve, le nombre de dénonciations que la Cour des comptes reçoit, venant de toutes parts. Un comportement qu’il encourage en précisant que la Cour des comptes prend toujours le temps de vérifier et de contre-vérifier minutieusement tous les cas de dénonciations pour ne pas tomber dans les calomnies.
Gaf